Je connais assez bien la vie d’Yves Saint Laurent, m’y intéressant depuis longtemps et la première perception que j’ai de ce film, c’est que c’est le point de vue de Berger ; comme ci celui-ci avait eu besoin de justifier sa souffrance auprès de ce jeune homme, mal dans sa peau, qui l’avait fait quitter Bernard Buffet, et avec qui, il a vécu à l’évidence, une grande passion, certes, avec de grands bonheurs, mais aussi, en en payant le prix, le prix des colères, de la mal vie, des mensonges, de l’infidélité, de la maladie mentale, jusqu’à devenir cette célébrité qui a marqué l’histoire mondiale de la mode.
Mais revenons au film. Je veux d’abord féliciter les deux acteurs principaux pour leur prestation, car autant Gallienne ne m’avait pas convaincu dans « Guillaume… », autant, là, je le trouve juste, incarnant un Berger fin, mais ferme, tentant de mettre un peu de calme dans la tourmente.
Les critiques trouvent qu’on ne parle pas assez de création, mais c’est un tout… c’est vrai qu’on aurait pu voir davantage les livres de chiffons de toutes natures que collectionnait YSL….mais est-il possible de transmettre cette frénésie de l’assemblage qui habitait l’artiste ?…qu’est ce qui fait qu’un nœud de telle taille, de telle couleur, de telle étoffe était placé là, juste où il faut, pour faire toute la différence…par sûr du tout, que YSL lui-même, savait expliquer son geste… ce qu’il savait, c’est qu’une robe, c’était d’abord un mouvement, le sien, celui du modèle ou d’une passante. Entre deux collections, il n’y avait que brume, angoisse, peur de ne plus trouver l’inspiration et ça le film le dit bien. Puis comme par miracle, sous la pression de l’échéance, couleurs, formes et matières prenaient forme sur un corps de femme…indispensable, le corps à corps pour le grand Saint Laurent.
Non, ce que je reproche surtout au film, c’est son classicisme…YSL n’aimait pas les bourgeois, c’était un homme de l’underground, une sorte de révolutionnaire, un oiseau de nuit, un solitaire rebelle, qui venait de la haute couture, mais qui avait choisi le prêt à porter, pour le démocratique raffiné et chic, pour que la femme de la rue cesse de porter des vêtements qui ressemblent à des sacs …et là, rien…j’ai peur qu’une personne qui ne connaisse pas bien YSL garde surtout une impression inverse, compte tenu des demeures présentées, du luxe des décors, des salons de l’Intercontinental (son fief), de l’hôtel particulier de l’avenue Marceau, des terrasses somptueuses aux vues imprenables sur Paris. Il est vrai que le fric est quand même le truc de ce drôle de socialiste qu'est Pierre Bergé, qui porte sur ses épaules le succès financier de l'entreprise YSL, ce qui est en creux, l'une des premières raisons de la dépression de son ami, qui lui doit à la fois son émancipation....et sa perte.
Et puis il y a la vie sulfureuse : la drogue, le sexe, l’alcool, les médicaments…et si l’auteur l’évoque beaucoup, on ne fait pas obligatoirement le lien avec la création, parce qu’on peut facilement imaginer que c’est grâce à son hyper sensualité, son érotisation, que YSL a transféré ses fantasmes pour habiller LA femme avec des tuniques, des blazers, des pantalons, des uniformes…c’est dans la débauche, avec des années d’avance, qu’il a mis à jour le fait que dans chaque femme, il y a une part de masculin et inversement ; il a osé la bisexualité il y a près de quarante ans…c’est comme ça qu’il a libéré la femme d’une certaine manière. C’était aussi un être de transgression, capable de s’inspirer d’une sainte que les espagnols promènent dans les rues de Séville un jour de procession, pour donner à une dame, la touche d’interdit qui fait baver les hommes. Et cette inspiration là, YSL ne l’a pas trouvé en dormant tous les soirs dans son lit ou en vivant comme un rat de bibliothèque
Pour moi donc, le montage est beaucoup trop terne…on oublie que YSL et Lagerfeld ont largement participé à ce mouvement, qui a aussi fait passer le défilé de mode, d’une réunion intimiste pour nombre réduit d’invités triés sur le volet, à de l’événementiel, ce qu’un défilé est aujourd’hui, avec délire de musique, de lumière, d’audio visuel, de décors et public de plus en plus nombreux…Lespert, le réalisateur, aurait du utiliser un monteur qui connait la mode…ça manque de filés, de fondus, de transparence, de sensualité, de strasse et de cuir…pourtant, il avait toute la matière…mais son film manque de souffle, de sueur et de coton, de velours et de beat, de laser et d’encens…ça ne dégage pas assez de folie…c’est trop proche d’un documentaire et d’une série télé, même si c’est bien éclairé… YSL était un homme d’exigence à en crever, mais aussi un enfant terrible, qui aimait la provocation, qui ne voulait pas qu’un défilé soit une messe….et le film est loin d’être à ce niveau, Lespert doit être trop calme dans sa vie, une belle âme, un trop gentil garçon….