"Je pense… que les gens qui veulent trop se mêler de la vie de leurs semblables, qui veulent trop réformer le genre humain, trop le régénérer, sont soit des fous dangereux, soit des canailles, soit les deux…
Or malgré cela, malgré tout ça, malgré tout ce que je sais, je le répète, de la pitié dangereuse et de ses pièges, malgré ce qu’à d’évidemment glauque, douteux, voire vaguement ridicule, la pose du grand intellectuel hissant le drapeau des Lumières dans toutes les chambres obscures de la conscience et du monde, j’ai passé ma vie à le faire et, au lieu d’écrire mes romans et des vrais traités de philosophie, à sillonner le vaste monde, à la recherche de tords à redresser et de causes à défendre…
Le goût de l’aventure, sûrement. Cela peut sembler piètre. Ou frivole. Mais c’est vrai que j’ai ce goût là, d’aller chercher au bout du monde des raisons de batailler et d’écrire. J’aime sentir mon moteur vital tourner selon un autre régime, avec d’autres sensations, d’autres émotions, une autre forme de rapport à autrui et à soi, une autre relation à la mort donc à la vie, à la peur donc au sentiment d’exister, que dans des lieux bénis où séjournent les nantis…et puis, une autre chose, enfin…
Le dépassement de soi. Le gout de vivre au dessus de soi, c'est-à-dire au sens littéral, au dessus de ses moyens. L’idée qu’il y a la vie et la grande vie – et que même si cela semble vain, même s’il ne reste à la fin rien de vous, rien de vous ni de vos entreprises, seule la seconde, la grande vie, fait qu’une vie d’homme ou de femme risque d’être vécue. La grande vie… l’expression est de Malraux. Mais c’est aussi celle de Malebranche expliquant, dans l’une de ses lettres à Dortous de Mairan, l’homme n’est grand que par le rapport qu’il a avec les grandes choses….
J’aime cette possibilité d’être un peu plus grand que soi. J’aime qu’on puisse se hisser donc, au dessus de soi, de sa taille et du destin qui vous a été donné." Bernard-Henri Levy
Extrait de "Ennemis publics", entretiens entre BHL et Houellebecq
Grasset 2008