Je voudrais faire part ce matin d’un autre point de vue…je lis actuellement « L’Etat » de Pierre Bourdieu, suite de conférences que le sociologue a donné au Collège de France… c’est un énorme pavé, souvent confus (c’est la transcription d’exposés oraux et Bourdieu disait lui même qu'il avait du mal à "bien parler"), mais qui a le mérite de poser beaucoup de questions et de faire réfléchir à notre Etat…au risque de l’extrême simplification, je dirai que notre Etat tient compte de notre histoire, de la Révolution, qu’il est très différent de l’Etat allemand (avec ses landers) ou anglais (avec l’interférence de la Royauté) ou scandinave (issu des vikings)…que dans cet Etat, les Haut Fonctionnaires qui le dirigent sont souvent issus de très bonne famille, la fonction se transmettant souvent de manière héréditaire et qu’il faut néanmoins tenir compte des spécificités culturelles des ministères, liées aux Corps de leurs membres : Educ. Nat est très différent de la Défense, les fonctionnaires de ce dernier étant plutôt originaires de grandes écoles d’ingénieurs, par exemple.

Alors, regardons nos principaux candidats. On a d’un côté Hollande, plutôt familier des grands Corps et de l’Administration (c’est aussi un peu son électorat)…il est clair que placé de ce point de vue, notre homme ne va pas trop bousculer les choses, il sera respectueux des convenances et des coutumes. Mais on peut aussi parier sur le fait que les réformes réalisées seront mineures.

Sarkozy, par contre, est un agité, qui visiblement a du mal à supporter de se mettre au rythme de l’Administration et des partenaires sociaux…le temps est compté chez un Sarkozy, chez les autres, on suit un rituel, on planifie des réunions sur un an, etc…sur le plan des résultats et de l’efficacité, ce n’est pas terrible et même si le candidat veut passer outre (par le référendum), on peut douter que ça bouge, gare aux chausse trappes…on peut même comme je faisais hier s’inquiéter de la méthode.

Ah, le temps d’une réforme…qu’il est long…et c’est bien là le problème, face à un monde en grand mouvement....et quand on vote, on oublie trop l'Etat et son rythme et sa culture, qui ne changent pas....très vite, loin de là.

Ce matin, j’écoutais une chronique de Danièle Sallenave, académicienne, sur France Culture…elle demandait aux futurs candidats de faire quelque chose contre le Copier Coller (et Wikipédia), trop utilisé par nos petits écoliers, dans les devoirs…

Pauvre académicienne…il y a vingt ans, dans ma courte vie de professeur et alors qu’internet n’existait pas encore sous sa forme actuelle, je vis un jour arriver une copie avec à l’intérieur un bout de listing tiré d’une base de donnée professionnelle qui portait l’identité de l’organisme en bas de page…la mère avait fait le devoir à la place de sa fille…je mis 0 à la copie, mais contacté par les parents, le Directeur me passa finalement un savon…cette histoire a vingt ans et notre écrivain commence à s’interroger sur une réforme de la pédagogie….pauvre France…pauvres candidats qui devront faire avec l’Etat et son petit rythme…et ses habitus*, comme dirait Bourdieu.

* « L'habitude est une seconde nature. » Les habitus sont les gestes, les pensées, les manières d'être que l'on a acquis et incorporé au point d'en oublier l'existence. Ce sont des routines mentales, devenues inconscientes qui nous permettent d'agir « sans y penser ». Si P. Bourdieu emploie le terme savant d'habitus, en se démarquant du mot courant « habitude », c'est pour en souligner deux facettes : l'habitus ne désigne pas simplement une routine et donc un « conditionnement ». Il est aussi un ressort de l'action.

« Toutes les structures de pouvoir se basent sur des petits pouvoirs, avec lesquels ces petits pouvoirs ont des rapports de dépendance, pour se faire prévaloir » P.Bourdieu