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  • La douleur

    Trahie…. Totalement trahie, la Marguerite….mais peut-on adapter Duras, que Chéreau disait inadaptable au cinéma  ? Annaud avait transformé l’Amant (pas le meilleur de Duras), en un porno soft, ici, Finkiel, qui est pourtant petit fils de déporté, ex Femis (pas un compliment pour moi) fait d’un livre, qui est peut être l’un des textes français le plus fort du XXème siècle, une carte postale esthétisante joliment cadrée et éclairée, une sorte de Bicyclette Bleue à la Régine Desforges, avec de beaux acteurs bien nourris, en gommant tout ce qui dérange….Dans la note d'intention de Finkiel, on sent qu'il veut se dégager du texte, probablement pour parler de l'attente, que son père lui a tant raconté....

    Duras, je connais un peu…C’est elle qui a changée mon rapport à la littérature….Des Duras, j’en ai lu vingt, trente peu être, à la fin des années 70, je les enchainais, empruntant tout ce que je pouvais trouver dans les bibliothèques municipales, j’allais plus tard au théâtre voir ses pièces, j’ai vu tous ses films, dévoré ses biographies et les bouquins de ses proches (Antelme, Mascolo, Andréa), collectionnant articles, interviews, documentaires, photographies (Benoit Jacquot, Hélène Bamberger) et marchant sur ses traces Rue Saint Benoist, aux Roches Noires, à Neauphle, en quête d’un graffiti, d’une archive, d’une signature (ici, l'autographe de son amie photographe)….

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    Car pour la première fois de ma vie, je découvrais un écrivain, qui me semblait écrire sur l’intime comme on ne me l’avait pas enseigné au lycée, avec toute sa part de folie, d’immoralité, d’alcoolisé, d’hystérie, d'excès, de violence, de vérités, de mensonges, et de fantasmes, car pour Duras, la littérature, c’est « hurler sans bruit », c’est un mélange subtil de fiction et de réel dans ce qu’il a de plus cru…On dit tout, sans tabou, quitte à se perdre, à en rajouter, à accoucher d’un monstre, sauvagement, pour ne pas mourir, seule manière pour elle, d’évoquer contradictions, errances, paradoxes, de crier pour survivre.

    La Douleur atteint un paroxysme dans ce domaine…Il y aurait tant de choses à dire, sur les fractures et les contradictions, qui traversent cette jeune femme à la fin de la guerre, qui a ré-écrit son livre des années plus tard (je possède une copie de ses cahiers d'origine)…la scène de torture, absente du film, reste gravée dans ma mémoire à jamais, car elle y met du sexuel, on sent la jouissance féminine, la pulsion de mort, qui monte à partir du dégoût de ce corps d’homme qui a peur et qui chie dans son froc, sur lequel elle semble vouloir se venger de sa douleur justement, en poussant les tortionnaires à pousser plus loin l’interrogatoire…

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    Ca sent la merde « la douleur », les déportés sont des fantômes pestiférés, qu’on parque au Lutécia, par peur des contaminations au tiphus, une antichambre de la mort, où règne un sacré bordel (ils seront jusqu'à 2000 et devront plus à la solidarité populaire qu'aux autorités, il faut lire "Lutetia" d'Assouline et des souvenirs de déportés, car, étrangement,il ne reste aucune photo)….Dans le film, c’est un palace bien propre, avec de jolis draps, des acteurs un peu maigres, mais bien lavés, avec de belles infirmières qui prennent la température….C’est honteux de trahir la mémoire des déportés à ce point, pourtant Duras, ça dérange le petit bourgeois bien pensant, c’est où tout ça ?

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    Ca sent la merde, la Douleur, on retrouve cela encore à la fin du livre, avec Robert Antelme, revenu des camps, dans un état physique délabré, qui se vide avec des diarrhées incessantes, car il ne supporte plus rien, le texte de Duras est hyper descriptif….Comment pourra-t-elle avoir encore du désir pour cet homme, qui fut son mari, elle qui n’a pas pu attendre et qui a pris un amant…Elle divorcera d’ailleurs en 1947

    Tout ça est lisse et flouté dans ce film aseptisé, aussi faux qu’une photo de David Hamilton, il ne reste que l’absence, et une vague synthèse de morceaux choisis de Duras en voix off…il ne reste plus que l’attente, qu’un Paris de la libération façon Mireille Mathieu, avec accordéon et bals populaires ….C’est du travail de petit universitaire pantouflard et étriqué, très conscient de qu’il fait (il faut lire le dossier de presse), qui te transforme un chef d’œuvre en roman de gare, pour rester consensuel et ne pas faire de vagues…

    Notre génération aura été une génération qui manipule, qui communique l’Histoire en virant les aspérités, qui étouffe et qui supprime, qui cache tout ce qui gêne, au nom du « vivre ensemble »…On voit les résultats de cette politique de l’autruche moralisatrice, sur l’immonde Twitter, chez les féministes, dans les prisons, dans les EHPAD, dans les attaques antisémites, dans les banlieues, pour les migrants…

    J’avais tardé à aller voir ce film, car je ne le sentais pas…Des imbéciles d’historiens, comme Emmanuel Laurentin, sur France Culture m’ont poussé à être curieux, trouvant le film très fidèle au livre. Putain, si on enseigne encore l’Histoire comme ça, pas étonnant que ça bouge dans les banlieues…..Oui, je veux défendre Duras, pas parce que c’est une femme, mais parce que c’est un véritable auteur, et pas un bon petit soldat de la vieille gauche, qui fabrique une jolie ratatouille césarisable pour booster les ventes, avec des colorants et des arômes, et surfer sur les attentes du plus grand nombre en s’inspirant du roman national, fait de bons communistes et de merveilleux gaullistes résistants, (Duras détestait De Gaulle et quittera le PC après la guerre, comme Robert Antelme) ….Minable, profondément minable !!!!

    Au nom de la mémoire des déportés et de la Littérature, pardon pour cette cochonnerie !

    Il faut toujours une séparation d’avec les autres gens autour de la personne qui écrit les livres. C’est une solitude. C’est la solitude de l’auteur qui écrit des livres.
    Marguerite Duras