Pourquoi aura t-il fallu lire tant de livres pour tenter de rattraper une éducation scolaire au rabais?
Pourquoi aura t-il fallu prendre tardivement tant de cours à l'autre bout du monde pour essayer de sortir d'inhibitions transmises par de médiocres catéchismes ?
Pourquoi aura t-il fallu démonter la machine de mon cerveau quasiment pièce par pièce depuis trente ans? Pourquoi toute cette introspection jusqu'au bout de soi même, que certains ont interprété comme du narcissisme ?
Pourquoi aura t-il fallu passer tant de nuits à souffrir, à percevoir ses limites, ses manques, ses erreurs, ses compromissions, ses trahisons ? Pourquoi aura t-il fallu remonter aux origines, aux origines de ma propre vie, utilisant les outils de la psychanalyse, de la psychiatrie, de la médecine, des neurosciences, de l'histoire, de la généalogie, mais aussi aux origines du monde, à Moise, à la Torah, pourquoi aura t-il fallu remonter sur la trace des premiers chrétiens, attendre presque soixante dix ans pour percevoir les oppositions entre Tertullien et Marcion, pour découvrir les luttes majeures entre Athènes et Jérusalem aux Premiers Siècles de notre ère ?
Pourquoi aura t-il fallu que mon fils, qui a attrapé le coronavirus au début de la pandémie à l’hôpital, alors que les soignants n'avaient pas de protection à cause d'incompétences et d'irresponsabilité d'une Administration Publique dépassée , m'explique qu'il ne m'avait pas appelé à ses côtés la nuit de ses fortes fièvres, parce qu'il savait que je serai venu aussitôt et que je serai peut être mort depuis ?
Pourquoi aura t-il fallu ce Covid, ce confinement, ces cartes rouges et vertes inventées par de pitoyables énarques, ces attestations absurdes, pour se demander pourquoi, avant hier encore à Calais, devant les Bourgeois de Rodin, alors que deux jeunes migrants me tendaient leur portable pour les prendre en photo, j'ai eu une seconde d'hésitation, alors que tournaient dans ma tête toutes ces interdictions, toutes ces recommandations de distanciation sociale, de port obligatoire de masques, de peur de l'autre, de l'épidémie transmise par l'étranger, avant de me reprendre et de saisir à pleines mains l'instrument, pour fixer avec eux l'instant devant l’hôtel de ville, et partager deux minutes de parenthèse d'une probable folle aventure, avec ces jeunes qui sûrement ne pouvaient pas rester chez eux, puisqu'ils n'avaient pas de chez eux ?
Pourquoi tout ce temps perdu dans ma vie, cette peur du risque qu'on vous a donnée dans l'enfance, avant de ressentir cette même colère que celle de BHL, qui écrit dans son dernier livre « que si la vie n'aspire pas à la grande vie, si elle n'ouvre pas les écoutilles du corps à l'intelligence des autres et des choses, elle ne mérite plus d'être appelée vie »
Pourquoi me suis je fâché avec tant de gens, parce que comme BHL dans "Ce virus qui rend fou", je ressens que cette « solidarité crépitante dont on est en train de nous bassiner, cette insurrection de fraternité sur fond de robinsonnade et de no conso, ce côté moins de biens plus de liens, il faut parler aux arbres, laisser entrer la lumière, s écouter les uns les autres, était une duperie " ?
Pourquoi il aura fallu ce petit livre du philosophe juif, pour me donner la force d'écrire ce matin, et distinguer ce que d'autres ne perçoivent visiblement pas, à savoir « qu'il faut résister, coûte que coûte, à ce vent de folie qui souffle sur le monde »
Photo prise par l'auteur: Portrait de Jean d'Aire, bourgeois de Calais sculpté par Rodin, cité par Peggy Mason, neurobiologiste à l'Université de Chicago, dans son extraordinaire cours (gratuit) sur les neurosciences.
Ce personnage illustre avec pertinence, toute la douleur d'un homme qui se croit sacrifié pour sauver sa ville et toute la puissance des émotions que notre cerveau peut mettre en oeuvre.