C’est le genre de film d’auteur que j’aime particulièrement, tout en grâce, en subtilité, en délicatesse. Un vieux couple d’artistes gays, l’un peintre sans succès, l’autre modeste professeur de musique, décident de se marier après trente neuf ans de vie commune, à New York….malheureusement, ce mariage va les précipiter dans les difficultés, voire le tragique. Le professeur, qui exerce dans une école catholique, se fait renvoyer, la hiérarchie ecclésiastique n’appréciant pas l’officialisation de leur union, et les photos de la cérémonie sur Facebook (ah, l’Eglise et sa putain de morale)….
Se retrouvant du coup privé d’argent pour payer les dernières traites de leur petit appartement au centre de Manhattan, un lieu génial pour travailler, mais impossible à habiter pour qui ne gagne pas des fortunes, les deux époux sont obligés de se séparer temporairement en attendant de retrouver une meilleure situation, en se faisant héberger l’un et l’autre par des amis. On est dans l’anti Woody Allen, ce dernier semblant toujours vivre sa vie sentimentale sans parler fric, ce truc bien trop vulgaire pour un intello comme lui…
Mais habiter chez des amis n’est pas chose facile, car partager des m2 en surnombre est toujours chose difficile. C’est également une occasion de découvrir, chez des gens, qui, malgré leur bonne volonté en faisant tout pour être adorable et accueillant, ce qu’on n’a pas obligatoirement envie de savoir « quand on vit avec les gens, on les connait plus qu'on voudrait »… »…
Ce qui est subtil dans ce " Love is Strange", c’est que tout ce qui pourrait être grave, violent, rude, pathos, n’est jamais montré…tout est en retenu, tout est dans les regards, dans les silences, dans le suggéré, le off étant très présent, pour rester dans le ton de l’intimité de ce couple homo vivant leur amour avec une immense tendresse, avec une extrême pudeur…l’âge et la difficulté à vivre leur sexualité semblent leur avoir appris à ne jamais rien montrer (ils marchent côte à côte dans la rue sans se toucher, on n'assiste jamais à de grandes démonstrations physiques), même si le simple fait de dire oui devant le maire va leur couter très cher.
On sent que c’est surtout une réflexion sur la vérité, sur ce qu’il faut dire ou pas à l’Autre, dans tous les sens…sur le choix cornélien entre courage de révéler, d'expliquer son point de vue, de rendre compte de ses actes, et sur ses risques de rentrer dans un processus fatal de rupture….
Pour moi, c’est de loin, le plus beau film intimiste de 2014….et puis j’adore le regard que l’auteur porte sur New York, filmant à la fois le moderne et le plus rustique, le branché et le cheap, comme pour nous rappeler que le réel est toujours complexe à aborder….et j’adore la fin, qui prouve à qui ne l’aurait pas perçu, que ce n’est surtout pas un film militant pour la cause LGBT ou un film socialo-gaucho, mais un grand film sur l'amour et la difficulté d'aimer.