Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Michel LEVESQUE - Page 70

  • Les murs blancs, le livre : une longue transition vers un ailleurs

    Il faut lire les Murs Blancs, un ouvrage qui vient de sortir, écrit par Léa et Hugo Domenach, les enfants de Nicolas Domenach, journaliste politique bien connu, qui a été élevé à la célèbre propriété de Chatenay Malabry, chère à Emmanuel Mounier et Paul Ricoeur.
     

    Il faut lire ce livre, qui n’est pas du tout hagiographique, s’éloignant de l’image de phalanstère qu’on a voulu donner à la maison, mais qui replace une histoire, avec ses grands intellectuels de gauche chrétienne, au plus près de sa réalité.
     

    murs.jpg

    Le livre est en trois parties bien distinctes, car il correspond à des époques bien différentes. Celle de Mounier, le leader charismatique fondateur de la Revue Esprit, qui sera connue mondialement, qui décide avec Paul Fraisse, psychologue, (entrainant les Domenach, mais également les Familles Marrou, historiens de la chrétienté, et Baboulène, de Témoignage Chrétien), de vivre en semi- communauté, dans un site plus prestigieux au niveau de son parc, avec son potager, ses arbres fruitiers, ses pins, ses cèdres, ses séquoias, et même un ginkgo, qu’au niveau de la demeure elle-même, en très mauvais état lors de son acquisition juste avant le début de la Seconde Guerre Mondiale. L’ambiance y est décrite comme chaleureuse, toujours ponctuée de visites d’écrivains, de philosophes, d’historiens, d’artistes, d’universitaires de droite comme de gauche, qui viennent débattre et ferrailler durement parfois, jusque très tard, au rez de chaussée dans une pièce commune dédiée à cela.
     

    Mais Emmanuel Mounier meurt brutalement le 22 mars 1950, peu de temps avant la naissance de Nicolas Domenach. Tout change, il y a un grand vide, qu’on tente de remplacer avec Paul Ricoeur, qui fut jadis contacté par Mounier pour habiter avec eux. Sauf que Ricoeur, protestant, n’est pas Mounier, il est décrit comme un homme austère, assez renfermé, préoccupé surtout par son œuvre, bien que très croyant et pratiquant, évitant toute responsabilité et fuyant les conflits.
     

    Révélation assez troublante, les auteurs ont contacté l’Elysée, Macron ayant fréquenté Ricoeur, les Murs Blancs et écrit pendant deux ans, dans la Revue Esprit….Il a fait savoir qu’il était prêt à les rencontrer….sauf qu’il n’a jamais confirmé l’entretien, malgré les nombreuses relances. Pour les Domenach, l’homme du « en même temps » est comme son Maitre Ricœur, s’enthousiasmant apparemment pour tout projet, puis devenant intouchable, ne sachant jamais dire non à ses interlocuteurs, évitant de trancher pour prendre des décisions importantes.
     

    La seconde époque est décrite par les auteurs comme « monastique » bien différente de la première séquence, comme l’a confirmé Julliard, qui a bien connu l’histoire des Murs Blancs , chaque famille cohabite désormais dans son coin, se retrouve peu collectivement, avec des parents, qui s’intéressent de loin à leurs enfants, des enfants pas toujours très heureux, qu’on n’emmène jamais au musée ou au zoo, finissant par fonder eux même une association où les filles n’ont pas le beau rôle, car les femmes de nos « intellectuels » malgré leur passé parfois très prestigieux dans la Résistance, semblent peu importantes. Par contre, tous sont solidaires quand il faut se battre pour l’Indépendance de l’Algérie…les Murs Blancs deviennent une base arrière de résistance, où tous, enfants et épouses compris, se retrouvent dans une même alliance sur ce thème fédérateur.
     

    La troisième époque sera celle de l’éclatement et la chute, après 68. Un peu comme aujourd’hui, dans les Universités, le vent tourne. Le fils de Paul Ricoeur étouffe aux Murs Blancs, il part rejoindre une Communauté dans les Pyrénées, bientôt suivi par d’autres, comme Genevièvre Fraisse, fille de Paul, qui deviendra philosophe très engagée dans le féminisme, travaillant un temps avec Jacques Rancière et écrivant des chroniques pour Libération….le Professeur Paul Ricoeur quitte Nanterre puis la Sorbonne occupée en mai 68 ; il sera nommé Doyen à Nanterre en 1969, mais devra démissionner un an plus tard, sous la pression d’une jeunesse qui le conteste ouvertement. Faisant parti du Comité Disciplinaire avec Alain Touraine chargé de « juger »les étudiants, il est en désaccord avec Cohn Bendit…IL comprend les revendications, mais n’accepte pas la force, les occupations et la violence. Les autres Pères fondateurs des Murs Blancs sont encore plus perdus que Ricoeur…Une page se tourne définitivement.
     

    Ce livre est très émouvant, car il raconte les illusions perdues, les chrétiens engagés qui ne comprennent plus rien au monde, les gloires défuntes de la JEC et de la CFTC chère à Delors, la rigidité fatale de la pensée de ces croyants sur l’évolution des mœurs…Je vous laisse découvrir la fin, avec l’issue tragique d’Olivier Ricoeur, fils du philosophe, qui jette un froid…

    Macron sera l’un des premiers lecteurs du livre, acceptant finalement un rendez vous avec les auteurs….Il fera un bref commentaire « Très chouette », puis il reviendra sur Ricoeur, trouvant le récit bien fait, mais un peu injuste avec ce grand Professeur, qui n’était peut être pas doué pour la vie….

    Pauvre Président, qui peut être aussi, ne comprend plus rien à cette France qui bouge encore plus vite que lui, et chasse chaque jour un peu plus, nos idéaux, nos valeurs et notre fragile construction républicaine à tous ! Reste des grandes plumes qui ont marqué le XXème siècle et la vie politique.