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littérature

  • Etes-vous heureux ?

    Cinquante cinq ans séparent un film de 1960 et le livre de Marceline Loridan Ivens, sorti début février 2015 et on retrouve les mêmes mots, la même obsession : l’absence, la douleur du père qui n’est pas revenu d’Auschwitz.

    J’ai donc revu le DVD « Chronique d’un été », réalisé par Jean Rouch avec Edgar Morin en 60, un essai de cinéma vérité, un film expérimental qui avait comme ambition d’interroger une vingtaine de personnes sur le bonheur, avec la fameuse question « Etes-vous heureux ? ». Dans ce film, une jeune femme, embauchée pour la circonstance, enquêteuse de sondages psycho socio à l’époque, crevait l’écran, c’était la première apparition publique de Marceline Rosenberg, dite Loridan Ivens, qui avait survécu à Birkenau…

    L'extrait  joint est très émouvant, en particulier le long plan séquence tourné à l’intérieur des Halles Baltard, encore en service en 1960. On notera qu'une capture d'image a servi de photo de couverture au livre de 2015.

    A la fin du film, Edgar Morin et Jean Rouch invitent les « acteurs » à une projection des rushes et demandent aux spectateurs leur avis…Le public semble majoritairement gêné d’entendre des confidences, jugeant ceux qui les font, soit faisant de la comédie, soit se prêtant à un acte d’exhibitionnisme, comme si, au fond, il ne fallait pas trop en savoir sur l’Autre ou comme si, on préférait toujours que l'Autre soit gai, positif, et ne fasse pas étalage de ses états d'âme. 

    Par ailleurs, j’imagine que si aujourd’hui, on refaisait le même film, on obtiendrait, à mon avis, le même genre de réponses. Pour de nombreux ouvriers présents dans "Chronique d'un été", on perd trop de temps à gagner sa vie, on aspire à mieux, à faire quelque chose d’épanouissant, à rencontrer le grand amour, à gagner de l’argent, bref on rêve d'une autre vie…on travaille au noir, pour mettre un peu de beurre dans les épinards et partir en vacances, oublier un peu sa condition, mais cela n’est qu’une parenthèse.
     Il n’y a plus beaucoup d’ouvriers aujourd’hui, mais je suis sûr que pour le plus grand nombre, dans les classes moyennes, rien n’a changé, peut être que c'est pire…certes, les conditions matérielles ont été améliorées, il n’y a plus de WC sur le palier, moins d'efforts physique à fournir, mais la journée de travail (un peu plus courte maintenant) d’un français moyen ressemble beaucoup à celle de ses pères ou grand pères, avec plus d’insécurité à mon avis, et davantage de peur encore qu’hier du déclassement…et le pessimisme humain est toujours là...

     

    marceline_loridan-ivens.jpg

     

    Quant à Marceline, on retrouve la même réticence à l'africain ("si, pour danser, ils dansent bien les africains" disait-elle jadis, alors que maintenant, on sent chez elle une grande méfiance, voire plus, vis à vis du monde musulman, voir l'interview de France Inter ci-dessous), malgré son parcours assez réussi (elle a rencontré grâce à la diffusion de ce film celui qui a été son compagnon de vie et avec qui, elle a réalisé de nombreux documentaires, parcouru la planète, rencontré de nombreux intellectuels, artistes, politiques, bref, une vie assez chouette par rapport à la moyenne), elle est toujours mentalement dans la même douleur et la même culpabilité, celle d’avoir survécu sans son père, et on retrouvait en gros la même expression qu'en 60 dans l'émission littéraire consacrée intégralement à cette belle dame, avec Bunel sur France 5, il y a deux semaines où elle disait presque regretter d'être revenue…étonnant, non ?

    Au fond, on se dit "Qu'avons nous changé ?"..."Guérit-on de ses blessures, malgré l'abondance de psys et de sociologues en tous genres ?"..."A quoi sert tout cet investissement dans la culture depuis 50 ans, dans le témoignage, l'important n'est-il pas dans la lecture, l'étude, le travail intérieur, et encore ?" "Et puis, que voulons-nous réellement savoir des autres, surtout quand ils ne pensent pas comme nous ?"

    A voir l'extrait assez colère et sombre, sur France Inter de Marceline du 27/01/2015

     

    A méditer....