Le dernier numéro d’avril des Cahiers du Cinéma, qui vient de sortir, appelle les artistes à un réveil, à sortir de leurs introspections et de leurs codes, de l’ « angotisation » qui se généralise, à proposer du lyrisme, de la grandeur à une société qui s’avance tous les jours un peu plus dans la nuit :
« La complaisance maladive de l’intelligentsia pour la médiocrité, la petitesse, les illusions perdues, la dépression, l’ironie, fait qu’on est incapable de produire, en littérature comme en cinéma, en cinéma comme en littérature, les grands vivants qui ont toujours été les moteurs d’un art nouveau. Alors, bien sûr, on nous explique que l’époque a changé, qu’elle est peu propice à la grandeur, à l’enthousiasme et au lyrisme, mais au nom de quoi ? C’est nous qui faisons l’époque. »
A la télévision, au cinéma, on nous propose des fictions, des reportages, des documentaires qui n’en sont pas, où l’autre n’existe pas et sert de faire valoir aux intentions du réalisateur…on nous explique depuis trente ans qu’un plan ne doit plus durer plus de trois secondes, qu’un interview ne doit pas dépasser trente secondes…qu’il faut mettre de la musique pour créer de l’émotion, parce qu’on a toujours peur de perdre la précieuse audience, de faire un mauvais score en salle le mercredi…et au final, la France, pays du cinéma d’auteur, ne donne plus à voir que des œuvres de qualité moyenne, voire médiocre, les infos n’informent plus, la France ne fabrique plus que des produits culturels jetables, moins bons que les autres, des livres, des films, des expositions, qui ne sont pas à la hauteur de leurs promesses.
Pourquoi Pialat reste t’il une référence ? Parce qu’il emmenait ses acteurs en pèlerinage sur les lieux de son enfance avant de tourner sa « Gueule ouverte » ou son « Garçu », qu’il les invitait à partager un vrai repas, qui pouvait durer, avec du vrai vin, qui désinhibait, sans tourner le moindre mètre de pellicule, parce qu’il voulait saisir la vie….aujourd’hui, il faut faire vite, il faut faire clean, il faut tourner le plus de minutes possibles par jour. Où est Godard, qui dans les années 70, filmait simplement des ouvriers au travail, sur un tour, essuyant la sueur avec leur manche de bleu puant le lubrifiant, sans musique, sans plan de coupe, sans voix off…L’époque des longs plans séquences aurait vécu…et l’on n’aurait jamais vu les Rollings Stones créer sous nos yeux, leur plus grand succès (Sympathy for the Devil dans One+One).
Et, puis ras le bol des cases, des cibles…Pourquoi seul le dernier Bruno Dumont sort-il du lot en ce début d’année ? Parce qu’il a tourné avec des fous, comme disait ce critique imbécile de Télérama au Masque et à la Plume ou pour avoir pris le temps de travailler avec soignants et malades dans un hôpital psychiatrique, transformant le tournage de Camille Claudel en art Thérapie.
« Ne pas croire que les gens bien sont des gens bien,
ne pas croire que les salauds sont des salauds,
Aller sans peur se salir,
Parce qu’il faut bien étreindre le Monde. Etre un lion
Tendre et cruel »
(Vincent Macaigne dans les Cahiers du cinéma d’avril 2013)
Ce qui vaut pour l’art vaut pour la vie, parce que l’art sans la vie n’est plus l’art. Partons à la rencontre de ceux que nous n’aimons pas, à priori, les patrons bling bling, les ouvriers qui votent Le Pen, les musulmans islamistes…et écoutons-les, tout simplement, pour essayer de comprendre, sans hacher leur discours pour fabriquer une démonstration militante à la Caroline Fourest.
Si nos hommes politiques ne nous invitent qu’à l’économie, la rigueur, l’austérité, s’ils n’ont rien d’autres à proposer qu’une guerre public privé, s’ils ne savent rien faire d’autres que de nous opposer, de stigmatiser les assistés à droite, les riches à gauche, on n’est pas obligé de les suivre. Sortons de nos contestations, de nos combats, de nos luttes au nom d’une cause douteuse, du changement qui ne change rien, sortons des cycles de la dénonciation, de la recherche systématique de l’erreur et de la faute, pour tenter de nous sauver, avant qu’il ne soit trop tard.