Pierre Rosanvallon, l’un de nos plus grands intellectuels, un cumulard du diplôme, fait le tour des médias pour parler de son projet « Raconter la vie », qui consiste à donner la parole à ceux qu’il appelle les oubliés, afin de créer l’équivalent d’un parlement des invisibles et de mieux vivre ensemble. Sur son site web, il invite chacun à raconter son récit de vie et à former des communautés d’expérience avec ceux et celles dont il se sentira proche, pour redonner du sens au politique et se rapprocher du « réel »..

 A première vu, c’est séduisant….mais, est-ce nouveau ? Comme le soulignait un documentaliste, cela fait déjà des années que les médias produisent films, radio-docu, articles, et des études, des rapports d’inspecteurs du travail, il y en a plein les ministères, il y a même des élus qui marchent pour rencontrer les français....et cela change quoi ?
Parce que c’est bien cela la question. Je l’ai écouté hier, l’éminence du Collège de France, argumenter son projet de nouvelle démocratie, qui devrait lui permettre surtout de vendre un nouveau bouquin. Désolé, Maître, mais je vous trouve un peu léger. D’abord, si on veut, on peut savoir, comment vit, par exemple, un de ses nouveaux manutentionnaires sur contrôlé chez Amazon, qui révolutionne une certaine forme de distribution, comment un livreur sous traitant chez Darty, Boulanger ou autre,  chargé théoriquement, d’après le vendeur, de vous installer un matériel électroménager, est stressé par le client, la circulation, la compétence qu’on ne lui a pas donné pour mettre en marche une télé multi connectable, on peut savoir comment un chauffeur de citerne à gaz, chargé de remplir des cuves chez des particuliers, au fin fond de campagnes verglacées, vit le fait d’être relié en permanence par GPS et radio téléphone, à un centre de management à la Défense, qui lui met la pression pour tenir ses  tournées et le  rendez-vous qu’on a contractualisé au quart d’heure près, on peut imaginer assez facilement l’impact psychologique, que peut avoir le fait de se faire envoyer promener 90 fois sur 100 coups de fils passés, sur un téléprospecteur, payé à l’objectif pour placer des assurances moins chères….je pourrais en écrire des pages, évoquer le pessimisme du pécheur breton qui n’a pas pu sortir depuis trois semaines à cause des conditions météo, ratant le bonus des fêtes et se demandant comment il va payer ses traites ou le soldat en Centrafrique, qu'on a envoyé à la va vite et qui a la trouille, parce qu'on a aussi réduit les moyens d'intervention, de renseignement et de couverture….

 Ce qu’on attend d’un intellectuel, d’un politique, dont je trouve scandaleux, qu’il  dise comme Hollande, qu’il ne pensait pas que la crise était si grave en arrivant au pouvoir, alors que c’est son métier, c’est qu’il fasse des synthèses, propose des alternatives, fasse de la pédagogie, expliquant qu’on peut améliorer les conditions de travail de certains, mais que ce sera au détriment du service rendu, du prix, qu’augmenter le salaire des uns se fera sur le dos des autres, voire qu’il cherche de nouvelles manières de faire…bref, qu’il TRAVAILLE, plutôt que de faire de la démagogie et de la vente en permanence…gouverner, c’est proposer, s’engager  et décider, sans changer de cap sans arrêts, en fonction des sondages (Sarkozy) ou des syndicats et lobbyings (Hollande) …être un grand penseur, pour moi, c’est mettre en perspectives des attentes contradictoires, mettre à jour la complexité et tenter de donner des pistes….agir, en tenant à la fois compte de l’humain, de la planète et de l’économique (qui n’est rien d’autre qu’un moyen, à perfectionner sans cesse, de vivre ensemble et de faire des échanges et non pas, de diaboliser la chose pour se faire élire)…mais, bon, moi, ce que je raconte, il s’en fout le Rosanvallon ou pire, il ne veut pas l’entendre, trop difficile, la gestion de conflits (parce que, ce n'est  rien d'autre) pas assez racoleur pour passer sur les radios ou pire, ce qui serait le comble du cynisme, simplement fait pour apaiser les esprits pour le compte du PS….