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Fin de partie

J’imagine l’inquiétude des pauvres pigistes qui tiennent chronique à Libération: Stéphane Guillon, Marcela Iacub, Christine Angot, Mathieu Lindon, Gérard Léfort, Philippe Djan, Marie Darrieussecq…ces billets d'humeur d’une ou deux colonnes, c’est du lourd, des textes dont il faut tapisser sa chambre, issu du gratin intello branchouille, et que, s’ il arrive un clash, la trace de ces pages vaudra une fortune et s’arrachera chez Christie’s aussi cher qu’un pochoir de C215*… ces signatures sont des artistes, la voix  libérée de nos pauvres vies de médiocres sujets opprimés par le grand capital, le cri courageux d’hommes et de femmes qui osent mouiller leur chemise en publiant 1200 signes dans un quotidien historiquement créé par l’immense Serge July, la référence de plusieurs générations, le Lénine du journalisme, le Blum de l’auto gestion, le Jaurès du socialisme parisien chic…à genoux bouffon, sans ces femmes et ces mecs là, le sexe serait encore bourgeois, avec madame à la cuisine, monsieur dans le fauteuil, et DSK ou Sarkozy serait au pouvoir…alors je me dis que les génies de l’écriture, les experts de l’idée, même si ce sont des auteurs qui n’attendent pas après ça, ils doivent avoir quelques angoisses, et ça ne m’étonnerait pas que certains appellent lundi matin la compta de la rue Béranger : « allo, chérie, c’est toi, ça va…le moral est bon, pas terrible l’ambiance, faut rien lâcher…dis-moi, est-ce que tu pourrais me faire un chèque d’avance, parce que j’ai un pépin, un impondérable…pas de problème, je passe le chercher cet après midi »… c’est qu’il faut l’entretenir l’appartement de 120 m2 boulevard Raspail, le petit loft sur trois niveaux avec mezzanine au cœur des Yvelines, la fermette au sud de Paris, avec vue sur berge de la seine …c’est pas vénal aucune avidité la dedans, je te jure, ces gens là n’aiment pas la finance, c’est d’ailleurs leur fond de commerce, lis leur prose, écoute leurs spectacles, lis leurs livres, ils sont sincères, engagés,  mais en même temps, faut les comprendre, ils ont des frais, un rang à tenir ; on les paie comment les costumes de scène, on ne va aller à Cannes avec le costard de l’année dernière, et puis, il y a les passages à la télé, bref, la notoriété, ça n’aime pas être contrarié par des broutilles, la mauvaise mine, c’est mauvais pour l’image…. et si l’avenir en plus est incertain…faut mieux assurer, quitte à prévoir le pire.

Vous avez compris, ne comptez pas sur moi sur pleurer sur la disparition possible du journal, vu la manière dont réagit le collectif de journalistes…quand une entreprise n’est plus assez rentable et voit ses ventes considérablement baisser, il ne suffit pas de changer la mise en page de la maquette. Libé n’est plus le grand étendard libertaire qu’il était, on sent que trop d’articles ont été écrits le cul derrière un écran, la plus value n’est plus suffisante et le rapport qualité / prix est trop faible …l’époque où la révolution des mœurs se faisait grâce au quotidien est derrière nous, et la rédaction, qui joue les vierges effarouchées devant les propositions bobo de Demorand pour transformer le mythique garage en écrin chic pour néo BHL,  cette rédac, elle devrait plutôt s’interroger sur son contenu trop parisien branché, aisé, très CSP+  (une cible bien trop étroite), où trop d’espace est consacré à la dernière galerie tendance, à la fashion week ou aux dernières propositions de street fooding (oui, des sortes de baraques à frites, je traduis pour le petit peuple qui n'est pas bobo)…il faut inventer un nouveau concept, construire une offre plus novatrice, plus éloignée de ce qu’un bloggeur moyen peut faire, je ne doute pas que ces cerveaux si intelligents peuvent monter rapidement une nouvelle formule, à partir des bases des actionnaires….sinon, Hollande va trouver un repreneur cathare quelconque pour prolonger l’agonie, afin de s’emparer du titre…mais pas sûr que ce soit la bonne solution.

* Si tu ne connais pas, c’est que tu n’es pas dans la cible potentielle de libé.

 

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