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Confesion d'un peintre face à son modèle

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OK, j’ai intégré depuis longtemps le fait que j’étais une brêle en dessin…pourtant, deux ou trois compères en atelier hebdomadaire avec modèle vivant, m’encouragent, me répétant de séance en séance qu’on reconnait de suite ma patte, traduisant une sorte d’univers...

Certes, les premiers cours que j’ai eu la chance de prendre aux Beaux arts de Paris, à l’époque où l’Ecole n’était pas encore submergée par les demandes venant de toute la planète, m’ont appris à essayer de donner la priorité à l’expression plutôt qu’à la ressemblance… « Essayez de transmettre quelque chose, les plus beaux tableaux de Soutine, Picasso ou de Matisse ne sont pas des décalques de leurs modèles, pourtant ils expriment une émotion », ne cessait de répéter le prof en fin de carrière, un vieux connaisseur de la pédagogie qui avait du voir défiler quelques milliers d’artistes en gestation, sous la verrière des classes mythiques de l’ENSBA de la rue Bonaparte…

Depuis, alors que j’ai croqué des centaines de filles nues, j’ai compris que j’avais une nette préférence, pour les amateurs, les occasionnelles, les chômeuses  qui devaient poser à poil, pour se payer un sandwich…les pros, les intermittentes,  les supers nanas dont le carnet de rendez-vous est plein et que les peintres ou les photographes  s’arrachent, celles qui sont à l’aise pour l’exercice et qui visiblement ressentent une forme de jouissance à s’exhiber devant un public majoritairement composé d’hommes, celles là ne m’intéressent pas, aussi étrange que cela puisse paraître…

Si j’étais courageux, je ferais un peu comme Egon Schiele, qui draguait les bas fonds de Vienne pour recruter ses modèles…Si j’étais courageux, j’irai filer cent euros à des SDF, à des réfugiés, à des pauvres, pour tenter de capter leur regard de désespoir, quand elles montrent leur sexe mal épilé et leurs seins qui pendent, sur un podium…Je ne ferais pas de photo, car dans la photo, il y a, pour moi, un rapport de pouvoir et de facilité, entre celui qui appuie un centième de seconde sur le déclencheur et celle qui offre son corps à l’objectif...

Car dans le dessin, il y a cette relation, qu’il faut tenir, entre le modèle et soi, cet échange de regard qu’il faut entretenir au moins une vingtaine de minutes…ce rapport silencieux mais dans lequel passe tant de choses, entre celui qui matte et celle qui se donne à voir…on dirait du Koltès, les rapports  Domination / Dominé  tournent en permanence, entre modèle et dessinateur : honte, perversité, séduction, pitié, amour, haine…c’est fout ce qui se joue dans une séance de dessin, entre voyeur et exhibitionniste, quand tu te ballades entre cette impression d’être un odieux nazi et cette angoisse de te croire encore puceau ou de te sentir vieil impuissant…pourtant, de cette relation,  ni l’un ni l’autre, ne dira jamais rien…

Tu comprends, c’est tellement compliqué dans ma tête, que j’ai du mal à tenir mon crayon pour faire émerger un truc qui tienne un peu la route…je n’arrive pas à prendre de la distance…n’est pas Renoir ou Degas,  qui veut…mais bon, reste l’expérience de vie, unique, intraduisible peut être…et cet étrange attrait pour la misère humaine…

Image: Dessin de l'auteur du 31/01/2016

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