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Une fracture individuelle

Jean Pierre Robin, journaliste, a écrit ce WE « Les français sont obnubilés par leur classe d’origine », développant avec une ironie un peu méprisante, cette manie très française, selon lui, qui consiste à se positionner partout en fonction de son identité et de sa classe sociale, ajoutant que les français aiment par-dessus tout préciser leur pedigree et leur appartenance génétique, socioprofessionnelle, ethnique, religieuse, politique, sexuelle, fiscale même.

C’est un peu facile et plus compliqué que cela. Marcel Gauchet explique que depuis 68, la France est sortie du conflit entre communistes et catholiques, et que depuis, les fractures se multiplient en fonction des parcours, chacun revendiquant son identité.
Je suis assez d’accord, mais selon moi, cela va encore plus loin, la fracture se situe au niveau de l’individu lui-même, créant de l’instabilité déstabilisatrice.

Je classais ce WE les photos de Kaline et ce qui me sautais aux yeux, c’est ce parcours assez fou et tourmenté, dont la chienne fut témoin au sein de notre propre foyer pendant plus de dix sept ans, nous accompagnant dans des palaces ou restaurants prestigieux, mais aussi dans des estaminets un peu crasses au fin fond de la Province, de Neuilly Passy aux HLM de banlieue un peu sordide, allant d’amitiés rompues en nouvelles rencontres, et traversant notre vie avec son quotidien marqué au plus profond, par nos souffrances les plus intimes.

Le déchirement fut au cœur de ma vie, que je termine avec la gueule de bois, avec ses drames, ses conflits, ses violences, passant de la grève à la faillite, de 68 à l’hyperlibéralisme d’une boite de consulting, avec ses passions tragiques, ses licenciements, ses matins de dérive existentielle, mais aussi ses joies, ses voyages merveilleux, ses réussites, ses richesses culturelles, ses rencontres venues de tous milieux.

Je terminais hier soir le livre de Nicolas Mathieu (Goncourt 2018), qui raconte l’univers assez vide d’adolescents en Lorraine condamnés par la crise économique. On peut rapprocher ce livre du film Les misérables…Qui a envie de passer sa vie dans ces milieux ? J’ai eu la chance (ou la malchance) très tôt de comprendre qu’il me faudrait lutter de toutes mes forces, pour fuir une enfance solitaire, triste à mourir et déterminée socialement…sauf que ce n’est pas si simple, et que ma modeste existence prouve que l’on ne sort pas indemne d’un tel parcours, où finalement, on ne se situe jamais vraiment.

Certains psychiatres diraient que cela révèle un comportement schizophrène, dont la racine du nom vient du grec « schizein », qui signifie fractionnement et « phrèn » qui veut dire esprit, un terme inventé par un psychiatre suisse Bleuler, en 1908, et qui se caractérise par des contours incertains de la personnalité.
Sauf que Gladys Swain, compagne décédée de Marcel Gauchet cité déjà plus haut, et de nombreux professeurs de psychiatrie contestent ces classements, démontrant aisément que la nosographie psychiatrique est plus stigmatisante que scientifique, les comportements étant plus fluctuants et plus compliqués que ne le décriraient certains.

Ce qui est sûr et je peux en témoigner, c’est que c’est difficile à vivre, reflétant probablement les tourments d’un monde où tout s’accélère, où la vérité ne se situe ni dans la lutte des classes, ni dans le conformisme tranquille, ni à droite ni à gauche et encore moins aux extrêmes, nous condamnant à naviguer avec nos fractures, pour le meilleur et pour le pire.

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