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J'ai lu Yoga d'Emmanuel Carrère

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‌J’ai sauté sur le dernier livre d’Emmanuel Carrère « Yoga » qui vient de sortir, dans lequel l’auteur raconte en partie, son stage « Vipassana » dans le Morvan, une pratique assez pointue de la méditation. Cela se dévore en deux jours.

Emmanuel Carrère, c’est comme Houellebecq et jadis Duras, j’ai l’impression que c’est quelqu’un de très proche. Quand on lit un grand nombre de livres d’un même auteur (j’ai lu une bonne vingtaine de Duras, tout Houellebecq et six bouquins de Carrère), qui ont tous en commun de raconter leur mal être, on est pressé de les retrouver…On sait souvent plus de choses d’un écrivain, que de ses amis, avec qui on ne parle jamais de dépression, de vie intime, et d’états d’âme.

Dans son dernier livre, Carrère expose encore une fois de plus, ses errances existentielles….Pourtant, on pourrait dire que c’est un luxe de bobo parigo…Carrère est un bien né, avec des parents hyperbrillants, il a vécu son enfance rue Raynouard, une coquette rue en plein 16ème arrondissement, à côté de la Maison de Balzac ; il a fait ses études à Janson de Sailly, avant de faire Sciences Po….IL s’est marié en seconde noces avec une journaliste de télévision d’ITélé, à Bethléem, un caprice de privilégié, après avoir plutôt eu de la chance en séduction, après avoir habité en Bretagne dans un petit paradis et dans une maison sur un ile à Patmos, en Grèce, qui a inspirée Jean pour le Livre de l’Apocalypse dans le Nouveau Testament.

Emmanuel connaît le tout Paris, le monde politique, littéraire, artistique, il fréquente les meilleurs restaurants et palaces, voyage ; on se bat pour l’inviter, il se dit en très bonne santé, est reconnu comme l’un des meilleurs écrivains français, il est admiré, vend très bien ses bouquins, vit plus que confortablement, fait ce qu’il veut et ce qui le passionne, y’ a pire comme condition…Mais, comme souvent chez les grands artistes, il y a un revers à ce succès, la peur du manque d’inspiration, d’écrire un jour le livre de trop et de devenir un mauvais narrateur, un auteur ringard abandonné par ses lecteurs, un mec dont les éditeurs ne veulent plus.

Carrère raconte avoir eu besoin d’être interné à Sainte Anne, avec une cure d’électro-chocs. Il répète que la déprime est sa jumelle, et il en a étudié toutes les facettes. Sa plus grande souffrance est d’avoir trop d’égo, ne sachant rien faire d’autre que d’écrire ou de faire des films, et de se sentir toujours triste à mourir…Je peux comprendre cela, notre vie sur Terre est quand même compliquée…Lui c’est le lithium, Houellebecq la sérotonine, Duras, c’était la picole…Putain de neurotransmetteurs ! Nous sommes condamnés à la souffrance, comme dit le Maitre birman Satya Narayan Goenka

Dans ce dernier livre, Carrère est encore plus clair que d’habitude, il ne passe pas par des artifices intellectualisant de Prix Goncourt comme Houellebecq, qui à force de fréquenter le quartier du Flore, a perdu tout spontanéité, et comme il le faisait un peu trop dans le Royaume. Manu n’étale pas sa grande culture à longueur de pages, il cause de ses angoisses, de ses petits riens qui font qu’on se sent mal dans sa vie, et raconte avec modestie ses cours de tai chi à la Montagne Sainte Geneviève, où se mélangent l’extrême lenteur et la vitesse qui tue, puis la méditation bouddhique, épuré du fard trop professionnel de Matthieu Ricard, confessant que le mental fout le camp tout le temps, (il cite Chogyam Trungpa, un maitre tibétain, qui dit qu’on notre esprit est présent sur terre seulement 20 % du temps), qu’on est toujours assailli de pensées plus ou moins parasites et qu’on doute en permanence des bienfaits de la méditation …

Carrère, l’intello, nous parle de son corps, de sa respiration, de ses articulations qui craquent et de son envie de tout envoyer paitre, de fuir en courant la bande de désaxés du stage, où l’on passe ses journées à faire des singeries sur un zafu (coussin pour pratiquer le zazen)….

Puis, au milieu du livre, tout change…Les attentats de Charlie Hebdo servent de rupture…Tout bascule dans le drame, les fêlures, le tragique, la grande douleur de la dépression sévère…C’est sincère, bien écrit, émouvant, c’est pro….

Vous voulez savoir si c’est un grand livre ? C’est de la littérature française d’aujourd’hui, surtout montée en mayonnaise par les médias, c’est une expérience malgré tout, de là à être grandiose, sublime, comme dirait Télérama, qui en fait toujours trois caisses quand on retrouve les bons repères de gauche, comme les ateliers d’écriture, les blessures intimes, la souffrance, les migrants, l’érotisme…

C’est noir, c’est d’époque, mais quand même, produire un livre tous les cinq ans comme travail, quelque soient les ingrédients, c’est cela la recette pour rester dans la l’Histoire et pour vivre comme un pacha de la petite coterie intellectuelle parisienne ? Indécent, comme dirait quelqu’un de très proche, qui pourrait aussi en raconter quand cela cogne tous les jours dans la tête depuis treize ans, à cause d'une tumeur au cerveau, dont le récit sur les origines possibles de cet enfer ne manque pas non plus de piquant.

 

Image : L'extraordinaire sourire de Martha Argerich, jouant la Polonaise, à 5'31 sur Youtube, superbement décrit comme le passage de l'Ombre à la Joie Pure

par Carrère page 336.

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