Dans Question d’Islam, émission religieuse du dimanche matin sur France Culture, Gilles Kepel est venu parler de son dernier livre « Enfant de bohème » dans lequel il raconte l’histoire de son époque à travers son histoire familiale. Il étudie ainsi les soubresauts du monde contemporain, s’interroge sur son attrait pour l’orientalisme, la langue arabe, la culture islamique, à partir de la démarche qui fut celle de ses aïeuls, plutôt brillants et entourés de relations célèbres, lui ayant fourni ce que Bourdieu aurait nommé un solide capital social ; Il évoque ainsi un concept que je ne connaissais pas, celui de l’approche émique du parcours d’une personnalité (et étique, qui nous mène, entre autre, d’après wikipédia, à la F-scale d’Adorno – échelle de mesure du rapport à l'autorité d’un individu - à mon avis, assez fumeux), et d’égo-histoire (analyse de son propre parcours) cher à Pierre Nora….
Du coup, je songe à Annie Ernaux... sauf qu’Annie Ernaux, se sert de son interprétation très instrumentalisée de son histoire personnelle pour justifier un engagement politique, avec quelque chose que je déteste chez elle, à savoir cette manière opportuniste de « charger » le père de ses enfants, vu comme symbole réactionnaire bourgeois de l’autorité masculine, alors qu’on sait que ce n’est jamais si simple (j’aimerai savoir au passage ce que ses enfants pensent de leur mère, qui a fait du récit de ses « galipettes transgressives» étalées sur la place publique, la base de son engagement pour l’émancipation féministe, transformant cette transclasse en une icône populiste à mes yeux, que le Prix Nobel vient de couronner, me demandant si ce n’est pas une provocation à Poutine – relire à ce sujet, la relation « pas très neutre » entre l’histoire des Nobel et la Russie).
Gilles Kepel a d’ailleurs déploré dans l’émission, la transformation de la pensée de Derrida, Foucault et autres professeurs qui ont été ses maitres, pour aboutir aujourd’hui, après un passage douteux par les Etats Unis, à la bouillie « woke » dans laquelle un intellectuel comme lui, dont on peut penser ce qu’on veut (je ne partage pas toutes ses analyses et ses déclarations, mais on ne peut pas lui reprocher de raconter n’importe quoi) ne peut plus enseigner….
Je me répète, mais pour moi, il ne peut y avoir d’émancipation sans travail intellectuel quasi monacal, regrettant comme Kepel la direction vers laquelle les simplifications des extrêmes politiques nous emmènent, avec des dérives identitaires détournant à des fins « révolutionnaires » ou vénales (la droite s’est aussi engouffrée dans un libertinage douteux), des concepts comme l’intersectionnalité, le wokisme et autres, qui ont du sens dans un cadre d’étude.
Je redoute du coup, une auto-destruction, un effondrement de notre culture et de notre société….sans voir que d’autres puissances comme la Russie, profitent de la situation pour avancer leurs pions et montrer à la moitié du monde avec une certaine pertinence (par hasard le monde non occidental) que l’Amérique et ses alliés (qui sont incapables d’aborder la guerre sous l’angle de la remise en question de leurs propres dérives) sont les premiers destructeurs de la condition humaine…