Voilà bien une quinzaine d’années que je n’avais pas mis les pieds au Salon du Livre…Nous y allions chaque année en famille, entre 1981, année de sa création, et 2000 et c’était toujours un moment de bonheur, même si l’affluence rencontrée dans les dernières années avait fini par me décourager.
Je me faisais donc un plaisir d’y retourner, gardant en mémoire dédicaces et échanges de propos sur un livre avec des auteurs…mon fils, que j’ai eu au téléphone tout à l’heure, a conservé également de bons souvenirs de cette manifestation, des pitreries d’Edern Hallier à la voix rocailleuse de Duras, sans oublier les yeux rieurs de Jean d’Ormesson…C’était une époque, où on se faisait un budget pour chacun, une époque où la gauche avait encore de grands penseurs, avant que les énarques « normaux » envahissent l’espace, avec des intellectuels, qu’on avait plaisir à côtoyer.
C’est donc avec ma petite liste, saisie sur mon smartphone (modernité oblige) que je suis arrivé bien naïvement en tout début d’après midi Porte de Versailles, pour éviter une éventuelle queue, avec mon billet sénior pris sur internet.
Ma première impression fut la bonne, en passant le portique…Le Salon avait considérablement rétréci et le public, fait surtout de scolaires, était plus que clairsemé.
Ensuite, je suis allé de déception en déception…Une bonne moitié des stands est consacrée aux mangas, livres de jeunesse et BD…Casterman et Dargaud y tiennent grand place, on se croirait au Salon du Livre de jeunesse à Montreuil.
A part Acte Sud (dirigé par l’ancienne ministre de la culture de Macron) qui trône au centre, avec un grand emplacement, la plupart des éditeurs vendent surtout du livre d’images, genre carnet de voyages avec illustrations en aquarelle, très à la mode, car littérature, sciences humaines et essais ont quasiment disparus…je n’ai pas trouvé mes petits éditeurs, même Grasset n’est pas présent cette année.
Les dédicaces d’auteurs à la mode s’appellent désormais Onfray, Line Renaud, Drucker, Yami Shin (mangas) d’après le Parisien (plus d’une heure de queue pour les approcher hier dimanche). C’est un autre monde, celui des romans qui racontent des petites histoires pas trop prises de tête et des polars à lire dans le train, le témoignage se vend bien, tout comme les ouvrages catastrophe sur la fin du monde, l’islam, l’apocalypse. En fait, on retrouve là ce qu’on trouve chez Cultura, Carrefour et à la FNAC, ce que le marketing de plus en plus sophistiqué et les techniques de merchandising, ont considéré, après avoir mouliné dans des logiciels performants, comme correspondant aux besoins du plus grand nombre. On est passé de l’ére des écrivains à celui du store management pour eBook sur tablette, du tirage limité d’auteur engagé, à celui du supply chain, avec emballage sous blister personnalisé.
Même les tables rondes n’ont pas retenu mon intérêt…Quitte à choquer, je maintiens qu’Amazon, avec son marché du livre d’occasion, est un bien meilleur Salon du Livre que ce supermarket fait pour attirer le consommateur et l’enfermer dans une sorte de cocon bienveillant, où impertinence et paroles politiquement incorrects, qui font pour moi, la grandeur de l’écriture, sont bannis…Passe ton chemin, petit bonhomme, tes chers parents séniors, qui se disaient amoureux de la liberté, sont tombés dans le piège où il ne fallait pas tomber, celui de la culture mainstream, fabriquée, comme le cinéma, pour booster le chiffre d’affaires d’une minorité financièrement aisée, et plonger vos neurones dans un état de somnolence, qui vous empêche de trop réfléchir à votre condition de citoyen sous contrôle numérique. Nostalgie, nostalgie, le temps du livre de notre temps, ne reviendra plus.