Les vieux from michel Levesque on Vimeo.
Les chiffres ne sont pas encore disponibles, on sait qu’il y a déjà de nombreux décès dans les EHPAD, et certains avancent des chiffres à venir par milliers, voire dizaines de milliers, comme je l’ai dit dès le début, c’est la génération des personnes nées avant guerre qui va être la grande sacrifiée de cette crise.
La faute à qui ? à la providence, au destin, au COVID, au gouvernement qui a réduit les soignants, au capitalisme comme je l’entends souvent, aux masques et aux manque de moyens, comme le sous entend Florence Aubenas, dont je ne sous estime pas la grande qualité de journaliste, ou des sociologues, souvent très vendues à une idéologie politique…. Soyons un peu sérieux, je connais un peu le sujet, étant marié à une femme qui fut dès 1972, directrice de maison de retraite, qui a vécu dans sa carrière « l’évolution » du concept d’EHPAD et ayant eu, moi-même ma mère en EHPAD pendant cinq ans, jusqu'à sa mort, début mars.
D’abord, commençons par un retour en arrière, au début des années 70. Les conditions de travail acceptées par le personnel médical, qui dirigeait un certain de nombre de ces maisons (avant de passer la main, après des réformes autour de 2000, à des gestionnaires, diplômées en économie sociale et totalement incompétents sur le plan médical, mais il fallait aussi être plus rigoureux sur le plan financier), n’avait rien à voir avec aujourd’hui.
Nous vivions à cette époque, au cœur de la maison de retraite (le concept d’EHPAD n’est apparu qu’autour de 2007, pas à l’extérieur de la maison comme maintenant les directeurs), avec un tableau lumineux (il n’y avait pourtant pas toute la technologie) dans l’entrée de notre appartement de fonction, qui était relié à toutes les chambres des pensionnaires. Les gardes se faisaient une semaine sur deux (davantage en période de vacances, ma femme travaillait en général tout juillet WE compris pendant que l’adjointe était au vert et c’était l’inverse en aout) et le personnel ne comptait pas ses heures, habitant sur place. Par ailleurs, rien n’était externalisé (cuisine, blanchisserie, ménage, etc..), il n’y avait pas la nuit de sonnette reliée à une centrale à distance (ou à une infirmière pour plusieurs EHPAD comme c’est le cas de nos jours), tout était centralisé et fait sur place, la France avait encore des moyens…et la motivation.
Il arrivait, pratiquement une fois par semaine, qu’à deux ou trois heures du matin, le tableau sonne, soit parce qu’une grand-mère s’était trompée de bouton pour aller aux toilettes, soit parce qu’elle était tombée…Si au bout d’une demi heure, ma femme n’était pas revenue, je savais que c’était grave et je me levais à mon tour…J’ai aidé à de nombreuses reprises, ma femme à ramasser des personnes, parfois en sang, dans le coma ou avec des fractures, en attendant l’ambulance du SAMU en pleine nuit…au point que, je le confesse, j’ai mis ma femme devant une alternative en 1980 : soit je divorce, soit elle quitte ce job, qui conditionnait notre existence 24h sur 24 (quand on était de repos, on allait souvent chez l’adjointe, qui habitait aussi sur place et bien sûr, ça causait boulot).
La société commençait à changer, on retrouvera cela aussi plus tard avec les généralistes, qui abandonneront garde de nuit et de WE, avant d’abandonner les visites à domicile. Pourtant, les évolutions sociétales, les 35 heures font que plus personne n'accepterait aujourd'hui de revenir en arrière
C’est déjà pour les résidents, une « évolution » majeure, qui a changé beaucoup de choses, plutôt dans le mauvais sens, si on se place de leurs points de vue.
Évoquons maintenant une première crise importante en 2003, cette fameuse canicule qui avait fait près de 20 000 morts, dont de nombreuses personnes âgées en maison de retraite.
D’abord, les hécatombes n’ont pas été égales, mettant en évidence des gestions et de management de maison de retraite, un peu cavalières, qui mèneront à la création des EHPAD et à une réforme profonde. Car déjà, nombreux ont été ceux qui avaient senti l’émergence d’un marché juteux, celui du 4ème âge…Ensuite, on commençait à voir le problème de la difficulté de recrutement, les français d’origine française, appelons les comme ça, ne voulant pas faire ce boulot souvent ingrat « pipi caca »…déléguant la chose aux antillais et surtout aux arabo-musulmans, bien plus soucieux dans leur culture, de la personne âgée….la grande majorité du personnel avec qui ma femme a travaillé jusqu’à sa retraite, était maghrébine…et c’est un personnel féminin, en quête de reconnaissance, qu’on ne manage pas comme des pions, comme je l’ai vu plus tard, avec des directeurs issus d’HEC (c’est un ancien manager d’une boite major de consulting, qui a repris l’EHPAD où était ma femme, on est passé d’une boite familiale à une petite multinationale en quelques années, avec des EHPAD au Maroc, des résidences séniors, où la communication, le marketing, l’informatique, la surveillance du personnel par vidéo et les tableaux EXCEL, ont tourné la page de la relation de proximité)
Les EHPAD qui sont dans ma commune (il y en a 6) sont facturés aux familles entre 3000 et 6000 € par mois, pour la plus chère, l’accent étant surtout mis sur l’hôtellerie, la sécurité, les loisirs et l’investissement ). Il faut savoir que le personnel soignant est subventionné par le Conseil Général et l’Etat (APA) et donc souvent mal payé, malgré les prix facturés, et j’ai pu le constater avec ma mère ces dernières années, la motivation n’est pas très présente chez le personnel soignant.
Depuis 2016, on a renforcé l’aide psychologique et médicale (présence de PASA Pôle d’activité et de Soin adapté) pour aider les personnes âgées socialement à supporter leur enfermement. J’ai d’ailleurs un excellent souvenir de ce PASA, que ma mère fréquentait chaque semaine.
Alors pourquoi de tels problèmes ? Il faut là aborder une question, plus douloureuse.
Je téléphonais tous les jours à ma mère, ce qui était une énorme contrainte, y compris quand j’étais en vacances à l’étranger et j’y allais deux à trois fois par semaine.
Je suis rentré en dépression chronique, peu de temps après l’arrivée de ma mère en EHPAD en 2015,commençant une grande introspection psycho-psychanalytique (voir mes films) et analysant toute mon existence.
Alors beaucoup d’enfants de parents en EHPAD, et faut-il les juger, fuient la relation envers leurs géniteurs, sans souvent avouer ou vraiment savoir pourquoi…évitant visites et liens...je n'irai pas jusqu'à dire qu'ils "tuent leur père ou leur mère", au sens psychanalytique du terme, un peu quand même...
Tu vois que la question de l’hécatombe et de la solitude, dépasse de loin, un simple problème de rupture de masque…On rappellera au passage, que la gestion des masques dépend du Directeur de l’Etablissement et pas du tout du Ministre de la Santé et que chaque année, des épisodes de grippe tuent de nombreux résidents.
Oui, il va falloir tomber le masque…le vrai masque qui nous empêche de voir ce qu’on ne veut pas voir, et qui n’est pas simplement une question politique budgétaire…Se tourner du côté de la contestation politique est une manière de fuir des réalités bien plus douloureuses, de mon point de vue, liées à l’extraordinaire changement qui a bouleversé notre monde depuis 1970 sur le plan de la recherche et des modes de vie, et qui font que l’intergénérationnel n’est pas une mince affaire et je plains déjà, ceux qui ont des parents qui sont en train de mourir seuls en EHPAD, car comme l’ont dit souvent les psys, les morts continuent à vivre en nous, et pour cause, ils ont façonné notre cerveau....et déterminés en grande partie notre existence